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Les rumeurs de « plandémie » (épidémie planifiée) sont de retour. Mercredi 14 août, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré l’urgence de santé publique de portée internationale, son plus haut niveau d’alerte, pour la mpox (maladie anciennement appelée variole du singe, ou monkeypox), dont une nouvelle souche se répand depuis l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Pour les complotistes, il n’en fallait pas plus pour parvenir à la conclusion que cette épidémie a été planifiée à des fins inavouables et qu’« ils essaient de refaire le Covid », comme le résume un internaute.
Les principaux acteurs de la mythologie complotiste de la pandémie de 2020-2021 ont rapidement revu leurs discours d’alors pour les adapter à la mpox : Silvano Trotta, grand artisan de la désinformation dans les sphères francophones en 2020 ; le Québécois Alexis Cossette, passeur de récits conspirationnistes entre les Etats-Unis et la France aux plus hautes heures du mouvement QAnon ou encore certaines antennes de RéinfoCovid, collectif antirestrictions et antivaccin à ARN…
Illustré d’une photographie de Bill Gates avec le visage constellé de boutons en forme de dollars, le même raisonnement a resurgi : « Follow the money » (« suivez l’argent »), sous-entendant que le multimilliardaire américain, principal donateur privé de l’OMS, tirerait des bénéfices de chaque crise sanitaire, grâce à ses brevets sur des vaccins. Au printemps 2020, déjà, le fondateur de Microsoft avait été la cible acharnée de théories du complot lui imputant la responsabilité de l’émergence du Covid-19. De la même façon que sa participation à un exercice de préparation aux urgences sanitaires, en octobre 2019, avait été interprétée comme la planification du Covid-19, un discours de 2021 dans lequel il évoque la crainte d’un usage bioterroriste de la variole est aujourd’hui présenté comme une preuve de son implication dans la diffusion d’une nouvelle souche de mpox.
Ce réflexe classique du complotisme, qui consiste à créer un bouc émissaire pour chaque crise sanitaire, s’accompagne d’un déni farouche de l’origine naturelle des maladies. Une publication virale ironise sur cette « variole du singe » dont le nom serait trompeur : elle a été découverte dans les années 1950 chez les primates, mais on sait aujourd’hui qu’elle circule via des rongeurs. Pour les réfractaires au consensus scientifique, peu convaincus qu’un virus puisse provenir des animaux, elle préfigure une longue liste – ironique – de maladies improbables, de « l’acné de la coccinelle » à l’« otite de l’escargot ». Une manière de balayer le caractère zoonotique des épidémies, pourtant largement documenté, pour mieux accuser les hommes, en particulier la figure du virologue se livrant à des manipulations dangereuses.
Dès ses premières semaines, la pandémie de Covid-19 avait été parasitée par des spéculations sur un virus échappé d’un laboratoire. De la piste d’un accident de recherche au scénario hollywoodien d’une arme biologique, les hypothèses n’ont jamais cessé de fleurir. Quatre ans et demi plus tard, la mpox a droit à la même petite musique : un reportage de 2019 montrant un travail en laboratoire sur une souche de variole est utilisé pour affirmer que celle-ci « a été complètement reproduite par des chercheurs canadiens », « dans le but de nous buter », croit savoir un internaute.
Dans cette sinistre répétition des discours complotistes de 2020, beaucoup feignent d’ignorer que la situation est, à ce jour, peu comparable. Au contraire du Covid-19, la mpox n’est pas une maladie qui se transmet par les airs, mais par un rapport sexuel, un contact physique ou des gouttelettes. La mpox demeure transmissible et préoccupante, mais son taux de reproduction n’est pas comparable à celui d’une pathologie liée à un virus respiratoire et ne justifie pas le même genre de réponses sanitaires. « Personne, à ma connaissance, n’évoque l’idée de recourir à des confinements pour contrôler la mpox », rappelle l’épidémiologiste Antoine Flahault, le directeur de l’institut de santé publique de l’université de Genève, interrogé par le site Atlantico.
D’autres théoriciens du complot voient déjà dans l’alerte donnée par l’OMS le bras de « Big Pharma », une conspiration supposée des multinationales pharmaceutiques. Pour Silvano Trotta, « il faut faire monter la peur pour que les premiers benêts commencent à se faire vacciner pour entraîner les autres ». Mais cette lecture aussi est erronée, puisque les vaccins contre la variole et ses différentes souches sont des génériques et rapportent donc peu aux grandes firmes pharmaceutiques.
Allant encore plus loin, Alexis Cossette, convaincu comme tant de militants trumpistes que l’élection de 2020 a été volée par les démocrates, voit un lien entre l’alerte de l’OMS et l’élection présidentielle américaine de novembre. Oubliant que la mpox en est pourtant déjà à sa deuxième alerte de l’OMS en deux ans et qu’aux dernières nouvelles elle n’a empêché la tenue d’aucun scrutin.
Mise à jour du 21/08 à 9 h 40 : retrait de la mention d’un tweet daté.
William Audureau
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